Valcarlos

« Au Valcarlos apparaît l’anomalie sans doute la plus bizarre de toute la frontière des Pyrénées. Par lui l’Espagne avance vers le Nord en plein territoire français sur plus de douze kilomètres le long de la rive gauche de la Nive. Elle enfonce ainsi entre Pays de Cize et Vallée de Baïgorri une très profonde indentation à pointe légèrement recourbée. Et l’on vérifie une fois encore ici que la frontière a préférence à s’installer sur un cours d’eau plutôt que sur des crêtes montagneuses. » (Jean Sermet, La Frontière des Pyrénées, Les Amis du Livre Pyrénéen, page 97).
Les éléments ci-dessous sont un résumé très synthétique de l’analyse historique et géographique extrêmement détaillée présentée par Jean Sermet dans le livre cité ci-dessus (pages 97 à 185). Les phrases en italique entre guillemets sont des citations directes du livre.

Vue générale du territoire de Luzaide-Valcarlos

La frontière côté ouest


La frontière côté Ouest suit une ligne générale sud-nord, de la borne 155, près du col de Lindus, à la borne 177 au sommet du Mendimotxa.
Vu du terrain, cette limite ouest est assez naturelle puisqu’elle suit la ligne de crête qui la sépare de la vallée des Aldudes (ici, sur la commune de Banca), de la borne 155 proche du col du Lindus à la borne 177 au sommet du Mendimotxa.

Borne 169
Borne 170
Borne 173
Borne 173

La frontière côté nord


La frontière côté Nord va du Mendimotxa (borne 177) jusqu’à Arnéguy Luzaide-Valcarlos, à Pertolé, au bord de la Nive d’Arnéguy (borne 196), selon une direction générale Est.
Vu sur le terrain, cette ligne ne semble obéir à aucune définition naturelle : elle ne suit pas les lignes de crêtes, elle suit des ruisseaux, puis s’en écarte, elle passe à mi-pente plutôt qu’en haut ou en bas…
Il fut un temps où la frontière était située plus au nord, jusqu’au lieu-dit Moskosoil (Mokozaielea sur les cartes IGN actuelles), mais elle a finalement été ramenée à la position définie dans le Traité des Limites de 1856, sans doute après de nombreux conflits, ainsi que des accords de faceries entre Valcarlos côté espagnol, Banca et Lasse côté français.
La conclusion de Jean Sermet sur cette partie est : « De Mendimocha à Pertolé la délimitation frontalière prend donc une allure assez artificielle, telle que celles connues dans les régions fortement humanisées. »

Vue vers l’est depuis le Mendimotxa
Borne 179
Borne 186
Borne 190
Borne 193

La frontière côté est


La frontière suit ensuite la Nive d’Arnéguy du nord vers le sud pendant plus de 6 km (borne 197), avant d’obliquer vers le sud-ouest et remonter jusqu’à la borne 198, près du col de Bentarte.
La première partie est assez naturelle puisqu’elle suit la Nive d’Arnéguy, entre la borne 196 à Pertolé et la 197, au confluent de la Nive d’Arnéguy et du ruisseau Orellaco Erreka.
La deuxième aussi puisqu’elle suit le ruisseau Orellaco Erreka (Gorritxoko erreka sur la carte IGN).
En réalité, la situation n’a pas toujours été aussi claire, car de nombreux cas litigieux se sont posés, par exemple à Ondarolle (voir plus loin).

Borne 196 à Pertolé
Borne 196 à Pertolé
Borne 197
Borne 198 au bord du chemin de Saint Jacques

Pourquoi Valcarlos est-il en Espagne ?

Vu sur le terrain, on trouverait plus logique que depuis la borne 155 près du col de Lindus, la frontière suive la ligne de crête pour aller jusqu’au col de Bentarte, en passant par les sommets dont l’Astobizkar, le Menditxipi et le Txangoa (dénominations carte IGN).
Dans une telle optique, toute « l’anomalie » citée en début d’article se trouverait en France.
Jean Sermet résumé le sujet à la question : « Mais pourquoi donc le Valcarlos resta-t-il espagnol après 1530, alors que Charles Quint évacuait la quasi-totalité de la Basse-Navarre, et notamment à moins de huit kilomètres de là la capitale de celle-ci, Saint Jean Pied de Port. »
Jean Sermet considère que ce territoire « ne présente pas en lui-même d’intérêt majeur pour l’Espagne », et que « son abandon n’eût pas vraiment été une perte pour la Monarchie espagnole. ».
Hypothèse émise pour expliquer cet attachement de l’Espagne à ce territoire tourné autour de la Collégiale de Ronceveaux, « dont les chanoines avaient rang royal (le titre exact de la Communauté est : Real Casa de Roncesvalles » : Charles Quint voulut « en tant qu’héritier des Rois de Navarre, assurer les droits et bien de Roncevaux », et ainsi conserver le Valcarlos dans le giron royal espagnol, ce qui expliquerait qu’il n’ait pas cédé ce territoire.

Le cas d’Ondarolle


Ondarolle est un hameau situé sur la rive droite de la Nive d’Arnéguy, juste en face de Luzaide Valcarlos. Une passerelle traversant la Nive relie Ondarolle et Valcarlos.
L’Espagne prétendait à Ondarolle (qui dépendait d’Arnéguy), « en partie à raison de ses attaches religieuses avec Valcarlos », et « en partie aussi à cause de la présence sur son territoire des minières de fer d’Urrichola ».
Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, « Choiseul inclinait à accorder Ondarolle à l’Espagne ».
C’est ce qui fut convenu par la commission Caro-Ornano, et formalisé dans le traité d’Elizondo de 1785, qui « en son article 6, cède purement et simplement Ondarolle à l’Espagne… ».
Ce Traité « resta en très grande part lettre morte ». Et Ondarolle « resta entre les mains de la France ». « Ce qui n’empêcha pas les Ondarolatars de continuer à aller à la messe à Valcarlos, et à faire confirmer en 1796 leurs enfants par l’Evêque de Pamplona ».
Pour mettre fin à cette situation ambiguë, le Traité des Limites de 1856 rendit Ondarolle à la France (article 7). « La question d’Ondarolle était ainsi réglée aux plans civils et laïque, non toutefois au plan religieux ». Il n’y a pas de chapelle à Ondarolle, et ses habitants continuent de fréquenter la paroisse de Valcarlos. « Le plus grave en cette situation n’est pas que les Ondarolatars se marient à Valcarlos et y fassent baptiser leurs enfants, mais qu’ils y enterrent aussi leurs morts ».
Il semble que cette « bizarrerie » perdure encore aujourd’hui.
Les éléments ci-dessus sont issus du livre de Jean Sermet déjà cité. On trouvera une autre vision dans l’article écrit par Benjamin Duinat : «Une anomalie frontalière à la loupe : Ondarolla, un hameau entre la France et l’Espagne » (lien ici)

Ondarolle vu de Valcarlos
Valcarlos vu d’Ondarolle
La Nive d’Arnéguy
La passerelle qui relie Ondarolle à Luzaide Valcarlos